Les barrières horaires
Voilà bien un titre nouveau pour moi.
Des sensations nouvelles sont apparues durant cette course. Une nouvelle gestion, une nouvelle aventure. Il n’y a pas de vérité en trail. En revanche, les leçons tirées des précédentes aventures ont une légère tendance à la redite. De vérité il y en a au moins une, c’est que je n’applique pas les enseignements découlant des trails précédents. Le principal étant : une course, ça se prépare physiquement en amont !
Après le Périgord, j’attaque en cette fin août la 2ème étape de mon triptyque de l’année, le 80km du Grand Raid des Pyrénées, nommé Tour des Lacs.
Comme souvent, les émotions ont joué un très grand rôle dans ce parcours pentu. Le mental a été primordial, une fois de plus. Il m’a fallu faire face à une nouvelle difficulté et trouver de nouvelles ressources pour la gérer.
Bon allez on s’y met ?
Première étape (classique), la préparation
Simplement, après le Périgord puis le raid’Yon, petite coupure. Le raid des Gaillards à Mauléon par RSE me remet un peu de long, mais surtout du vélo. Je sens bien que courir plus de 15km est délicat. Nous sommes alors le 11 juin. Aucune prépa spécifique en vue alors que le planning du coach est paru depuis longtemps. Je me sens trop en retard physiquement pour accrocher la prépa. J’aligne quelques petites distances et des sorties vélo très courtes) avec la charrette et les filles derrière. Les vacances sont là donc je me remets un peu au vélo pour reprendre un foncier basique avant d’espérer courir plus longtemps.
Sauf que le 12 juillet, en m’amusant lors d’une sortie avec les copains du RAPV, je tape une pierre en descente en courant pleine balle. Tout ça pour ne pas laisser passer Flo But’. Flo But’ c’est un savant mélange de coureur léger, bon grimpeur, bon descendeur et avec une pointe de vitesse à faire pâlir un sprinteur. Bref. Une vilaine talonnade qui m’empêche de poser le pied par terre avec un hématome bien large. Donc que faire ? Et bien 2 jours plus tard, je vais courir 30km avec les copains du RAPV façon « Dernier Homme Debout » avec 1100 D+. Je change totalement ma façon de courir. Tout sur l’avant pied sans poser le talon à terre. Les mollets morflent dur.
Diagnostic du coach : « Il vaut mieux calmer un peu la course à pied ». C’est bien la première fois que j’entends ça dans sa bouche.
Comme je ne vais pas détailler toutes mes sorties une à une, ça donne en résultat : environ une sortie vélo tous les 2-3 jours jusqu’au 13 août. Pas réellement de qualité dans le vélo. Plutôt de la quantité, en fonction des siestes des enfants et de la vie de famille en vacances.
En parallèle, je commence un renforcement musculaire (enfin) essentiellement composé de fentes sautées. Au bout de 4-5 jours je m’apprête à atteindre les 800 FS lorsque le quadri gauche fait « CLAC ». Bon…
Il faut attendre le 13 août pour que je retente la course. 2 sorties 2 jours de suite à enchaîner la côte du Puy Lambert à la Flocellière. 40 fois puis 51 fois, histoire d’enquiller mes premières séances de D+ depuis 1 mois. 1800D+ en 2 jours en Vendée c’est pas mal.
En revanche, on constate tout de même qu’il n’y a aucune progressivité dans mon entraînement. Je me sens bien pris par le temps et je risque bien une nouvelle blessure. Elle n’arrivera pas heureusement.
Après cela, ce seront seulement 6 sorties de courses à pied avant le GRP pour un total de 37km. Les traileurs vous avez compris… Pour les néophytes, je traduis. Pierre Guilbaud n’est pas préparé. Il a malmené son corps comme un débile profond en prenant des risques idiots. Il est à peine capable de courir 10 bornes en Vendée alors il se dit que 80km dans les Pyrénées c’est cool !
Veille de course : routine et je dors (hihihi)
Vendredi 26 août, veille de course. Je sais que je vais mal dormir. A peine arrivé à l’appartement qu’Alexis, Patrice et Annabelle veulent bien partager avec moi, je tente une sieste. 1h allongé sans fermer les yeux. Le retrait du dossard est une formalité suivie d’une petite bière avec les copains du RAPV dans le bourg de Vielle-Aure. Nous félicitons les Genôts qui arrivent du tour du Néouvielle : Sébastien Gauvrit et Hélène, Michaël Bouyer, Pascal Gouraud et Adeline, Freddy Babu et Carole… Une petite deuxième avec Antho puis Bastien (en vacances avec Marianne pour encourager Guillaume).
Routine alimentaire, je dîne d’une purée de patates douces accompagnée d’une escalope de poulet et d’une banane. Le repas est l’occasion d’échanger avec Alexis, Patrice et Annabelle qui nourrissent beaucoup d’interrogations et d’incertitudes. C’est leur 1er 80km. Je ne suis pas un expert du trail avec une expérience de 30 ans et j’espère ne pas les avoir fatigués avec mes paroles. Je ne fais que partager ce que j’ai appris en côtoyant tous les traileurs et ultratraileurs du RAPV au sujet de l’alimentation, du stress, du matériel, du parcours… Allez bonne nuit ! Enfin… Impossible de fermer l’œil. La pire veille de course jamais vécue de ce point de vue.
2h45, petit déjeuner (patate douce en purée, escalope de poulet, banane…). Le camel est prêt. Le bonhomme aussi. Nous nous dirigeons vers le départ. Quelle formidable ambiance ! Cette petite place de Vielle-Aure, bondée de coureurs encadrés par une foule d’accompagnateurs. Tout ce petit monde ressent des émotions bien diverses. Alors que notre groupe de Rapvistes grossit gentiment devant le car podium dans l’attente du départ, je le constate avec ces coureurs que je commence à connaître. L’anxiété confinant à l’angoisse, l’agitation frôlant l’excitation, ou encore la sérénité. Flo Tenailleau est un bel exemple de sérénité. Il sait qu’il va passer du temps dans « ses » montagnes adorées. Il finira berger ce garçon. Personnellement, je me sens apaisé. Je sais ce qui m’attend. Tout du moins je crois savoir. Chaque trail est différent. Je le sais. Le GRP est difficile, quelle que soit la distance. Je le sais aussi. Pourtant celui-ci va encore me faire découvrir de nouvelles sensations et une nouvelle façon de faire et vivre la course.
5h, Vielle-Aure, Feu !
Départ donné. Le peloton des 1400 coureurs s’élance sur la route de Saint Lary. Après 2km entre Rapvistes, les pentes plutôt douces se dessinent à Vignec. Ma sérénité a une limite : la première barrière horaire au restaurant des Merlans après 15km de course et 1500 D+. Il faut passer le col du Portet pour cela, soit 12km d’ascension. Consciemment ou non, je fais les 6 premiers km sur un bon rythme. Besoin de se tester ? Besoin d’assurer le passage ? Je sais que la 2ème partie du col est plus raide. Autant prendre un peu de marge ; ça me permet de faire chemin commun avec Micka Bouyer puis Flo But’. C’est rare et c’est un réel plaisir que de courir aux côtés de ces grands coureurs. Micka enchaînait sa 3ème course après le tour du Moudang et le tour du Néouvielle. Et Flo But’… L’aigle de la Genétouze, le Bahamontès du RAPV. Quelle envolée ! Alors que les premiers forts pourcentages du Portet se présentent, je chemine à ses côtés. Les 6 premiers km sont derrière nous. Au loin une épingle et les coureurs qui commencent à se tasser, signe d’un pourcentage plus fort. Notre Flo met sa main au carquois. Il sort ses bâtons. Il les clipse. Et … fffffuittt. Plus de Flo ! Il m’a laissé l’impression d’être à l’arrêt sur l’autoroute !
La réalité me rattrape
6km et je suis toujours en compagnie d’Annabelle. C’est son 1er 80km et, censée partir avec Alexis et Patrice, elle les a perdus de vue au départ. Elle monte vraiment facilement. Contrairement à moi qui ressent chaque dixième de pourcentage en plus dans la pente. Bon sang que c’est dur ! Mais ce n’est que le début et le corps a besoin de s’échauffer. Nous atteignons la cabane de Tortes et je m’arrête uriner. Je perds Annabelle mais je vois revenir Micka. Il me dépose en me disant : « Allez viens je t’emmène ! » … Je vois revenir Anthony avec qui je discute tranquillement. Nous parlons… du GRP bien sûr. De son précédent 80, de mon 43 du Néouvielle, lorsque nous étions dans ces mêmes pentes ; ça allait plus vite quand j’étais avec Juju Brianceau il y a 5ans. Les relances lors des quelques replats ou mini-descentes sont vives mais ne dépassent pas les 12km/h. Résultat, je perds un nouveau compagnon.
Je me lance à l’assaut des derniers contreforts du col du Portet. Depuis quelques minutes nous avons le soleil qui nous réchauffe et nous surplombons un magnifique océan de nuages. C’est vraiment top ! Ça rend l’ascension moins désagréable. Pour autant ce dernier « coup de cul » est vraiment dur. J’ai l’impression de me faire dépasser de tous les côtés. Et c’est bel et bien ce qui se passe. Heureusement qu’il n’y avait pas de pointage à mi-pente sinon ma famille deviendrait folle derrière son écran d’ordi à suivre le live trail. Lucie Guéranger et Adèle reviennent sur moi à la fin de l’ascension et me prennent quelques mètres. Ne demeure plus que Guillaume Francheteau derrière moi.
1ère barrière horaire aux fesses !
Col du Portet 13,6km, 1500D+, 2h52
Allez, on glisse vers le restaurant des Merlans dont je franchis le bip en 3h04. Je croise Anthony qui repart, et Annabelle qui m’attend. J’ai un échauffement sous le pied droit. Je m’arrête pour me strapper. Impossible de remettre la main sur mes deux bandes d’élasto. Annabelle, plus rapide me file le sien, prédécoupé. Je refais le plein des flasques et m’assoit 2 minutes. Cette première ascension m’a bien entamé. J’implore Annabelle de repartir. Je connais mes sensations et je sais que je vais galérer un moment. Son entraînement de forcenée depuis septembre dernier ne m’autorise pas à la garder avec moi. Elle peut faire bien mieux. « Repars avec Antho ! » « Il est déjà parti ! »
Je vois passer Guillaume Francheteau qui ne s’arrête même pas au ravito. « Je mange déjà trop » me dit-il.
« Suis Guillaume. Il a l’air bien » dis-je à Annabelle qui repart. Il est surtout temps de repartir. J’avoue que voir passer Guigui m’a mis un coup. Non pas que je sente un quelconque complexe de supériorité. Non, bien au contraire, l’expérience de Guillaume sur les trails me fait rêver. Non ! C’est plutôt que je sais, à ce moment précis que mes sensations ne sont pas bonnes. Je sais que le temps décompté commence à jouer en ma défaveur. J’avais besoin de (déjà) me reposer. Je sais que mes sensations vont empirer car je commence à me connaître et avoir l’habitude de courir des trails un peu longs. J’envisage donc du moins bien en espérant, comme d’habitude, me refaire la cerise. Mais je ne vois pas comment, dans cet univers de dénivelé et de cailloux qui m’attend. 3h15 pour la barrière horaire selon mon dossard. J’attrape 3 rondelles de saucisson et zou ! (En fait le parcours a été modifié quelques jours auparavant et la barrière horaire n’est plus en 3h15 mais en 3h30).
Je sors des Merlans en 3h14. Ça me chauffe déjà les miches. J’accélère sur 200m pour rejoindre Lucie et Adèle. L’approche du col du Bastanet est longue mais agréable. Nous apercevons le lac de l’Oule en contrebas sur notre gauche. Puis nous contournons le lac inférieur et le lac du milieu (ce n’est pas moi qui les appelle ainsi). C’est super agréable, excepté ce mec qui est super à l’aise et double tout le monde n’importe comment dans les caillasses pour descendre prendre une photo, puis une autre, nous redouble encore et toujours. Oh bonhomme tu ne veux pas aller faire du fractionné plus loin !
A ce propos (de doubler). Personne n’ose trop doubler ; ça double un peu en sauvage mais sinon chacun reste à sa place ; ça donne un faux rythme qui pourrait être préjudiciable. Si certains me lisent, demandez le passage. Ce n’est pas d’une difficulté extrême et généralement tout le monde s’écarte. Un petit : « Je passe à droite. » ou encore : « Est-ce que je peux passer ? », c’est facile, rapide et ça évite de mettre tout le monde au fossé (au ravin) en faisant le débile.
Les sensations ne sont décidément pas top !
Un petit coup de cul pour atteindre le refuge du Bastan où je m’arrête boire une flasque et la remplir immédiatement. J’ai grand soif ! Je perds Lucie et Adèle. 200m ce n’est rien, mais comme personne n’ose trop doubler… Je les vois peu à peu s’éloigner dans le col du Bastanet. Nous contournons le lac de la Hourquette pour, via un sentier toujours aussi bourré de caillasses, nous diriger vers le lac du Campana et son refuge, dernier point d’eau avant la Mongie.
Le lac de Gréziolles nous attend. Je ne sais pas à quoi je m’attends mais le début me déçoit un peu. C’est peut-être parce que ce n’est pas encore le lac de Gréziolles. (Hihi le boulet) Bon finalement le point de vue vaut carrément le détour. Une eau turquoise et limpide, un soleil magnifique… Que demander de plus ? Des jambes peut-être ?
Nous glissons en trottinant sur la droite du Pic de Barasse. Le Hount Nègre m’impose de poser une main ou deux pour descendre. Le col du Serpolet nous attend.
Le col du Serpolet…1,7km et 380D+. 28ème km
Dit comme ça, ce n’est vraiment rien. Mais comme raconté plus haut, je ne suis pas dans un bon jour. Il commence à faire un peu plus chaud et dès que ça monte un peu je souffre en silence. Donc là… ça monte beaucoup en fait. C’est un passage à 22% de moyenne, avec, donc des passages bien plus raides. Lucie et Adèle s’en vont tranquillement faire leur ascension. Annabelle reste juste devant moi. Aïe. J’ai mal. En fait c’est plutôt : « hhhhhh ….. hhhhhh…. » L’heure tourne encore et ce col en paliers irréguliers entrecoupé de pentes de dingues nous casse les jambes, les bras (parce que je pousse comme un taureau sur les bâtons), le cardio, les poumons et le moral. J’entends mes compagnons d’infortune s’exclamer à chaque palier : « Mais Brdl ! Il ne s’arrête jamais ! » Je ne sais pas pourquoi mais j’ai senti que ce machin-là serait comme une grosse côte de la Proutière. On croit que c’est fini et puis non. Donc je n’ai pas été tant surpris que ça. Mais je me suis enfermé dans ma bulle. Hors de question de m’arrêter avant le sommet. C’est bien trop tôt. En plus je ne vois personne ressembler à un cadavre sur le côté, s’arrêtant hors d’haleine. Donc je ne serai pas celui-là. Ah tiens … Un premier gars qui s’arrête, puis un deuxième. Il commence à faire des dégâts en fin de peloton celui-là. Je plante mes deux bâtons et j’avance d’un pas. Je plante mes bâtons. Je pousse l’autre pied. Et encore. Et encore. Mes bâtons sont solides finalement. Car les poussées que je leur inflige valent le détour.
Go to La Mongie 30ème km. Un peu de tension à évacuer
Arrivé en haut, je demande 2 minutes à Annabelle pour respirer. Les fesses sur l’herbe glissante, nous contemplons La Mongie en contrebas et la descente, encore plus raide qui nous attend.
Bon, allez. Il faut repartir. Les barrières horaires nous suivent de près. Je commence à sentir leur souffle sur ma nuque. Je sens Annabelle moins à l’aise en descente. Pour ma part c’est une petite satisfaction, toute petite, celle de sentir que mes jambes se raidissent, souffrent, crient, mais répondent présentes. Elles me disent même qu’elles peuvent encaisser des descentes en courant encore un bon moment. Alors je commence à doubler un peu, à trottiner, entraînant Annabelle à ma suite. L’herbe glissante entraîne quelques personnes un peu trop vite vers le bas. La gravité m’amène moi-même à surfer une fois ou deux pour ne pas choir bêtement ; ça y est ! Le ravito de la Mongie est là. Quelques suiveurs du Rapv sont là. Je distingue Jérôme Poiroux qui m’envoie un : « Allez Pierre ! » assez joyeux. C’est trop pour moi. La bulle du Serpolet et l’entrée en matière de ce Tour des lacs éclatent. Nous n’avons fait que 30km et déjà les larmes me viennent. Je les retiens difficilement en passant devant tout le monde, mais une fois le bip passé elles reviennent à la charge une première fois. Je me dis que c’est trop con de vouloir faire le fier à bras. Il faut que ça sorte et ça ira mieux après. Alors appuyé sur les bâtons, je lâche tout lors de la seconde charge émotionnelle. Bon ça c’est fait ! Ravito à présent.
Je croise Guigui, Lucie, Adèle. Je ne sais plus trop dans quel ordre tout se déroule, mais, je fais une pause technique, remplis les flasques et le camel, et mange un peu. J’entends Lucie signaler à Guigui que ça ne va pas trop. Il vient vers moi et m’apostrophe avec une grande claque dans le dos. Je lui réponds : « Il n’y a rien. Il fallait juste que ça sorte. ». Guigui repart, puis Lucie et Adèle. Je demande à un bénévole si la barrière horaire est au début ou à la sortie du ravito. Il me répond à la sortie. Il était 12h38 lorsque je suis rentré ici. Il doit bien y avoir 20 minutes de passées et la BH est à 13h15. Je dis à Annabelle qu’il faut repartir, tendu par cette vérole de BH. Je fais un mini-sandwich de fromage et PAN !
Les barrières toujours proches mais nous prenons 15’ de marge
Nous repartons. Bon. Il n’y avait pas de bip à la sortie. Nous avons virtuellement 15’ d’avance avant d’attaquer la partie La Mongie- Sencours, 8km et 900D+. Le redémarrage est gentillet.
Je mange rapidement mon ridicule sandwich et nous courons à nouveau. Youhou 9,7km/h ! Je taquine Annabelle en lui disant d’accélérer pour passer les 10 mais je n’en suis pas capable sur ce sentier de chèvres. Nous doublons tout de même quelques coureurs. Les premières pentes me séparent d’Annabelle. Je commence à en avoir l’habitude. Cette fois-ci l’écart grandit, inexorablement. Le col grimpe et je me surprends à penser que je n’arrive pas à voir, ni même à imaginer où est la sortie. Il me paraît long et j’ai envie de voir comment il se termine. C’est dur. Trop dur. Je fais une 1ère pause. Je constate qu’au loin Annabelle me voit faire cette pause. Je redémarre. Après m’être fait doubler par ceux que nous avions doublés, puis par d’autres que je voyais revenir dans mon dos avec un rythme régulier, je me pose à nouveau. Un gars de Dompierre fait ses pauses en alternance avec moi, si bien que je le passe, il me passe, je le passe… Troisième pause. Cela fait un long moment que je me bats pour essayer d’atteindre les 3km/h. Ma montre m’assassine. On a beau raconter que l’on peut faire dire aux chiffres n’importe quoi, ceux-ci m’annoncent tranquillement que ma moyenne est insuffisante pour passer au prochain check-point. Et merde. Je repense à tous mes trails et constate que je n’ai jamais souffert comme ça. Il va vraiment falloir que je m’interroge sur la notion de masochisme en revenant à la maison. Pourquoi se faire mal ainsi ?
Je n’avance plus, en tout cas plus assez vite. La montre affiche souvent 0km/h (inférieur à 2,5km/h, elle n’indique plus rien). L’adjectif de ce GRP fait son apparition : interminable. Et dans interminable il y a minable. Pfff je ne suis pas loin de penser ça. Je regarde ma montre très, trop, régulièrement. L’heure ! L’heure de la barrière horaire en haut du Sencours. Je constate que le delta horaire s’amenuise plus vite que le delta kilométrique. Je suis laissé sur place par des tas de coureurs. Bon j’exagère. C’est long ! Le pic du Midi est passé de devant nous à sur notre droite. En revanche, je ne parviens pas bien à imaginer, à visualiser le chemin que l’on va prendre pour grimper au sommet. C’est long bon sang. Et ces fichues BH qui ne reculent pas. Je suis dans le mal et j’ai du mal à me dire que je vais me refaire la cerise. J’implore un répit. Je voudrais tant que les BH soient exceptionnellement reculées. « 10 minutes ! Donnez-moi 10 minutes de plus… » Un peu comme les marins perdus en mer, nous apercevons nos premières mouettes, c’est-à-dire les premiers accompagnateurs qui descendent du Sencours pour encourager leurs proches. Je finis par demander : «
– Le col du Sencours il est à combien ?
– Le ravito est à 1,5km. »
Arghhhh. J’avance à moins de 1km/h. La barrière horaire est dans 30’. Cette fois-ci je ne sens plus le souffle chaud du défenseur dans mon dos. Non non. Ce sont plutôt ses crampons qui me taquinent le pied d’appui lorsque je tire ; ça pue du … sévère. Cela dure depuis assez longtemps à présent que je monte sans réellement prendre de plaisir. Mais je n’ai pas de pensées négatives pour autant. Il faut que je trouve un truc. Je me raisonne, cherche ce que je disais la veille au soir. « Tu n‘as pas fait 600 bornes pour rien. Tu n’as pas pourri les vacances de la famille pour rien. » etc. Et surtout. Je ne me suis jamais fait sortir par une barrière horaire. Ce n’est pas aujourd’hui que ça va m’arriver. L’énergie du désespoir (ou de l’espoir) m’habite alors. Je rassemble l’énergie qu’il me reste pour accélérer franchement. Je me mets à doubler les coureurs qui m’ont laissé à l’arrêt sur le bas-côté. Ils doivent se demander quel est le fou qui fait du fractionné dans le col du Sencours. La fin du Sencours me paraît rétrospectivement également moins raide. Je vois le ravito approcher. Je ne relâche pas mon effort. J’aperçois Annabelle qui s’en approche aussi, ainsi que Guillaume qui y passe. Je suis revenu sur eux dans ce dernier kilo. Finalement je passe le bip avec 20’ d’avance sur la BH. Et surtout un bénévole annonce que depuis la modification du parcours la BH est passée à +30’. Et oui. Il y a 2 BH de modifiées, celle-ci et celle du retour Sencours où l’on a ajouté un peu de temps. Mais cela n’apparaît pas sur les dossards qui avaient été imprimés avant. J’ai donc 50’ d’avance. J’ai l’impression d’avoir été exaucé. Alors qu’en fait j’ai juste zappé l’info.
Sencours 1ère partie, 38ème km 3500 D+, 10h10 de course
Nous nous retrouvons donc avec Annabelle et Guillaume. Je demande du Coca mais il n’y a que de l’eau. Je ressens l’envie de sucre alors que la mi-course n’est pas encore atteinte. Jérôme Poiroux et les potes de Guigui sont là pour l’encourager. Ils font l’ascension avec nous. C’est top. Je peux discuter un peu. Notre ascension va s’échelonner au rythme des connaissances que nous croisons dans la descente. A chaque Rapviste que nous croisons, nous nous arrêtons, discutons, prenons des nouvelles. Heureusement que nous avons un peu de marge finalement. Anthony va bien, tout comme Flo Tenailleau et Lucie qui redescend quand nous arrivons au sommet. Mickaël Dahéron nous croise alors que je me décide enfin à agir sur mon corps. En effet, parmi les nombreuses difficultés qui émaillent ma course, je ressens depuis le 10ème km (à peu près), de légères décharges électriques dans les quadri et adducteurs. Cette petite décharge qui te dit : « Coucou. Nous sommes les crampes. Si tu forces un peu encore, nous arrivons ! » Je me décide donc à m’étirer pour enfin les éloigner définitivement. C’est donc ainsi que je vais prendre une topette de Micka pour faire passer ça. Alors faisons un point sur cette pratique totalement Rapvienne. Tremper ses lèvres dans la fiole de rhum en haut d’un col, ce n’est sûrement pas bon pour le sport mais surtout… Si ça se fait en haut d’une ascension et pas pendant une ascension, c’est qu’il y a une raison. Bon ça permet de se décentrer de la course un instant. Mais j’ai eu une nausée sympathique pendant 1km…
L’ascension du Pic du Midi se passe calmement. Je parle avec Jérôme et les mètres défilent un peu moins lentement. Je retrouve Annabelle au sommet qui s’était détachée de quelques dizaines de mètres. Une photo en haut pour Mathilde (ce qui me fait pleurer une nouvelle fois). Elle m’avait demandé si, quand j’aurais gravi la montagne, je toucherais le ciel. J’ai essayé… Et j’ai pleuré de nouveau.
La descente est le déclic mais le sort s’acharne (les BH toujours)
Nous attaquons la descente avec Annabelle. Guillaume nous suit de peu. Enfin de la descente. Les cuisses répondent. Nous trottinons, puis trottons. Quelques petites phases de récupération et enfin nous courons. Nous passons sur le côté ravitaillement solide du col du Sencours. Purée, saucisson, et coca. Gastronomiquement c’est très discutable comme mélange. Mais le corps et la tête ont besoin de sel pour plus tard (car la course est longue encore) et de sucre pour tout de suite. Nouvelle discussion entre traileurs.
« Les barrières horaires suivantes ont-elles été décalées aussi ? »
C’est l’incertitude. J’en discute avec un bénévole. Regardant mon dossard, je demande si la BH de Tournaboup est bien à 19h30. Non me répond-il. C’est 19h30 la sortie. Mais l’entrée c’est 19h. Je m’adresse à Annabelle. « Allez, on repart maintenant. » Nous avons 32’ d’avance sur la BH (2’ sur l’ancienne version). Je souhaite bon courage à Guigui qui ne s’alimente que maintenant. La purée passe doucement. Mais depuis la Mongie il est en délicatesse avec son estomac. « Tu ne lâches pas » lui dis-je. Finalement à la sortie du ravito je bifurque vers la pause technique. Changement de caleçon car le sif est en flamme. Et puis sur la lancée… Je laisse un cadeau. Nous repartons avec Annabelle qui m’attend. Guillaume nous a doublés pendant la pause technique. Nous descendons vite avec Annabelle (autour de 7’au km). Je sens que les cuissots chauffent gentiment et je vois qu’Annabelle est dans la même situation. Nous revenons sur Guillaume et nous mettons à son allure. C’est décidé, nous finirons tous trois ensembles. Guillaume avance moins vite mais à un rythme sûr et sans à-coup. Ainsi nous joignons Tournaboup. Soupe et pâtes au menu avec du Coca. Nous prenons un peu de temps sur ce ravito mais nous prévoyons de garder 30’ d’avance sur la BH de sortie. C’est chose faite. Nous avons avalé 51km et 3900 d+ depuis le départ.
Tournaboup 13h32de course, 51km et 3994D+ (mais à 1460m d’altitude)
Nous redémarrons après avoir échangé avec Eloïse Orceau qui assiste un peu Annabelle. Tout le monde a l’air d’aller assez bien. Je me sens clairement mieux. Il faut à présent attaquer la dernière grosse ascension : la Hourquette Nère, soit 1000D+ en 8km. Nous repartons avec 2-3 coureurs qui veulent suivre notre groupe. Nous devons dégager une aura positive. Nous rencontrons Jérôme Parent qui redescend après avoir accompagné Fanny. Il refait courageusement un bout de chemin avec nous. Nous discutons avec lui, toujours sympathique Jérôme.
Nos pas défilent les uns derrière les autres. Guillaume, petit rythme mais toujours régulier, mène la troupe d’une demi-douzaine de concurrents. Annabelle marque le pas. Elle commence à nous parler de sa fatigue et de ses genoux. Je commence à causer de tout et de rien. Les blagues grivoises se succèdent. Quelques chansons, le tout pour encourager mes camarades. Je me sens vraiment bien. J’ai du mal à garder le rythme de Guillaume et je commence faire des (petites) parties, seul, à attendre, puis repartir.
Tu t’arrêtes si tu as mal ou tu es blessé
Guillaume demeure silencieux. Je ressens pourtant que le rythme est le plus soutenu qu’il puisse endurer. Annabelle est fatiguée. Vraiment très fatiguée. Elle commence à se mettre en mode robot. Je m’occupe du timing. Je les informe du rythme à tenir entre les points. Je calcule et recalcule tout dans ma tête. Ce qui ne m’empêche pas de me planter d’une heure. Une fois l’erreur rectifiée, je donne un horaire toujours décalé de 15’, volontairement. Je garde ces 15’ de marge, autant pour mes deux camarades que pour moi. J’ai attendu d’avoir cette marge pendant 40km. Alors maintenant… J’en ai vraiment bavé comme jamais auparavant pendant 40km. Annabelle m’attendait. A présent les rôles sont inversés. L’ascension vers la cabane d’Aygues Cluses est interminable. Je regarde la montre et je redonne le rythme. Je regarde le paysage en cherchant désespérément des indices, des paysages qui me disent quelque chose. Je sais juste qu’il y a trois ans j’arrivais à la cabane d’Aygues Cluses par le sud et je rejoignais alors le parcours du 80km. Nous remontons le ruisseau du Coubous puis le ruisseau d’Aygues Cluses, mais cette fichue cabane n’est pas là. Plusieurs fois je dis à Annabelle que : « ça sent bon là. On s’approche. » Enfin … Alors que la nuit tombe très rapidement nous apercevons le feu du ravitaillement. Je blague avec les bénévoles en leur disant qu’ils ont déplacé la cabane plus loin et je me jette sur le jambon sec. Quel plaisir à ce moment-là ! Il est 21h15. Nous avons mis 2h20 pour parcourir 6,6km. Partis avec 30’ d’avance, nous avons gratté encore 15’ de marge. Mais le parcours est rendu de plus en plus difficile par notre forme physique. Nous craignons beaucoup la sapinière du Bastanet avec Guillaume. D’ailleurs ce dernier est bien HS. Je me permets de lui faire son ravito. Je lui apporte à manger, et lui refais le plein des flasques pour l’aider. Annabelle veut arrêter là. Déjà un ou deux km qu’elle nus dit qu’elle va s’arrêter à la cabane. C’est vrai qu’il reste 24km. Mais nous la convainquons de repartir. La cabane est isolée. Il n’y a aucun véhicule qui monte. Il faut qu’elle continue. Les arguments sortent les uns après les autres, facilement. « Il va falloir que tu redescendes à pied. Tu n’as pas fait tout ça pour ça. Regarde le chemin que tu as parcouru. Ce n’est rien ce qu’il te reste. » Et enfin le fameux : « Tu n’es pas blessée ?! Tu n’es pas malade ?! Bon alors tu ne peux pas t’arrêter. »
Nous repartons dans le noir vers la Hourquette Nère tous les trois. Encore une fois le timing est donné et l’allure doit être de tant… Alors que nous sommes en train de monter, les éclairs se déchaînent de l’autre côté de la montagne. L’angoisse nous saisit. Et si on se retrouvait dans l’orage en pleine montagne ? Ou pire. Et s’ils annulaient la fin de course ? A force de regarder de l’autre côté, de chercher du regard la fin de cette Hourquette en louchant sur les frontales qui montent doucement en lacet, Guillaume finit par voir les frontales redescendre. Bon, en fait non. Mais tout de même. Une belle angoisse.
Hourquette Nère 17h32 de course, 60km et 4900D+, 2454m d’altitude
Ascension interminable. Qui se termine finalement. Nous retrouvons deux bénévoles en haut de la Hourquette qui nous bipent le dossard. Finalement l’orage est passé en Espagne. Ouf ! Mais nous redescendons de nuit dans un brouillard très dense. Il faut tout de même bien chercher les rubalises. Cela ralentit encore notre allure d’escargot. Ce petit jeu de recherche serait bien amusant si nous étions tous en forme. Pour ma part, ça va. En même temps, après 45km dans le dur, il est grand temps que le physique réponde présent. Guillaume serre les dents. Je lui propose d’ouvrir la route avec son rythme sûr et constant. Je m’occupe d’Annabelle qui part avec la marée. Elle est vraiment cuite la pauvre. Après qu’elle m’ait servi de point de mire et de soutien sur la 1ère moitié de course, il est bien normal que je l’accompagne. Elle prépare son GRP depuis tant de temps. Nous sommes en course au moment du passage de la Hourquette Nère depuis 17h32. Il est donc 22h32 et il nous reste encore du chemin. La descente est « interminable ». Les lacs Nère, de Bastan et les lacquets de Port Bielh sont dans le brouillard. Nous ne les voyons pas.
La morte-vivante à la relance
Notre rythme n’est pas suffisant. Nous rattrapons tout de même un couple. Ils vont cheminer derrière nous plusieurs hectomètres. Nous allons même les distancer. Mais Annabelle ne suit plus. Les genoux sont HS depuis belle lurette. Elle ne s’en plaint plus mais chaque descente de grosse marche est une souffrance. Et des grosses marches, ce n’est pas ce qui manque dans le Bastanet. Je marche sur le bord du chemin dans les caillasses, frontale en plein phare, pour indiquer le meilleur choix de chemin à Annabelle. « A droite. Par ici. Par là. » Je l’encourage du mieux que je peux. A la faveur de l’entrée dans la sapinière du Bastanet, le couple laissé en arrière revient sur nous. Il nous faut franchir des barbelés. Il y a une sorte de grosse table de pique-nique avec des bancs en rondins qui permet de les passer. Annabelle : « Je ne sais pas comment je vais les passer ! »
Moi : « Mais si, mais si… »
Je passe et Annabelle s’affale sur la table. Elle ne peut plus plier les jambes. Je lui fais passer les jambes une à une puis l’aide à descendre. Allez c’est reparti. Il nous faut absolument accélérer le rythme. Nous avions dit qu’en sortant de la sapinière il nous faudrait trottiner, marcher d’un bon rythme. Mais ça semble compromis. Annabelle est quasiment garée sur le côté et le temps passe. Je surveille toujours aussi attentivement ma montre. Je décide de pousser Annabelle. Dès que ça monte, je retourne dans les caillasses et, la main sous son camel (dans son dos, ne pensez pas à mal), je soulève légèrement le camel et la pousse. Dès que c’est plat, je lui dis : « Allez relance ! ». Et les mètres s’enchaînent ainsi. Je pousse. « Relance ! » Je pousse. « Allez relance ». Là où elle m’impressionne encore c’est cette faculté à aller encore plus loin. Car le sommeil est là. Elle dort littéralement en courant. Lorsque je la pousse, je lui dis de fermer les yeux et elle les ferme. Couplé à sa douleur dans les genoux… Je ne sais pas comment elle fait pour avancer. Elle est au-delà de ce que je pense pouvoir endurer. Et à chaque : « Relance ! », elle remet la machine en route et sur les replats, elle marche à 5 voire 5,5km/h. Cela paraît peu comme ça mais c’est juste le rythme que l’on doit s’imposer pour arriver dans les temps et pallier ainsi à ce que nous n’avons pas pu envoyer avant. Le temps passe toujours, trop vite ou trop lentement, c’est selon. Je me retourne vers Guillaume et nous échangeons un regard équivoque. Je ne la vois pas aller plus loin. Lui non plus. Je pense à cette fin de course. La marge me semble terriblement réduite. J’ai l’impression que nous ne verrons pas les Merlans avant la BH. Et quand bien-même nous les verrions, comment faire pour arriver sur la ligne en temps et en heure ? Alors que je continue de pousser Annabelle et que je lui dis de relancer (ce qu’elle fait inlassablement).
Le coup de poker
Je commence à échafauder un coup de poker. Regardant encore et toujours la montre, je décompte ce qu’il nous reste de marge. En regardant les km. En ajoutant les quelques km « gratuits » du GRP, en regardant ce qu’il reste à parcourir. En calculant notre allure. Je finis par estimer que nous aurons ¾ d’heure avant la BH aux Merlans. J’en discute avec Guillaume.
« Si en arrivant on la couche pour qu’elle dorme… On repart ric rac juste avant la fermeture du ravito… »
Guillaume : « Oui mais ça ne nous laissera pas grand-chose pour descendre. Perso ça va être dur. J’ai déjà raté quelques courses pour des BH et j’en ai abandonné quelques-unes. Celle-là je veux la finir. »
Moi (inconscient de ma forme qui décline à nouveau) : « Eh bien… Tu repars devant. Moi je lui fais le plein de coca dans les flasques et on repart pleine balle… »
Je regarde à nouveau le profil de mon dossard, les km, les horaires, ma montre. C’est mort en fait. On ne peut pas la faire dormir 2h non plus.
Et c’est ainsi que nous cheminions vers les Merlans au rythme des « Allez relance ! », plein d’incertitudes l’un et l’autre, encourageant du mieux possible Annabelle. Les Merlans se profilent enfin à l’horizon. Pour ma part les Merlans c’est depuis le Tour des Cirques 2019 le point d’arrivée. Je sais que passé ce ravitaillement ma course est finie. C’est assez dangereux car il demeure 13,2km de course mais 12 en descente. Ou plutôt dont 12 en descente. Et c’est une descente « interminable » et casse-pattes. Je rêve de la faire en courant un jour. Ce ne sera pas pour aujourd’hui.
Dilemme aux Merlans
Les Merlans, 68km, 20h28 de course, 5141D+
Bip ! Bip ! Bip ! Nous rentrons à l’abri des murs du restaurant. Annabelle s’assoit. Je la relève sans ménagement, ayant aperçu des lits de camp derrière des paravents. « Allez, tu vas dormir un peu. » Le pompier de service s’inquiète. Je lui dis qu’elle va très bien. Elle est juste fatiguée. « Annabelle tu dors. Je te réveille juste avant de partir. » Les 10 minutes qui suivent resteront dans nos têtes avec Guillaume. C’est une longue discussion sur notre dilemme. A la lumière du ravitaillement, Guillaume s’est aperçu de l’état de fatigue réelle d’Annabelle. Il est pessimiste. Que faire ? Repartir sans elle ? Repartir échelonnés, Guillaume devant, Annabelle et moi derrière ? Que je reparte seul car, Guillaume me sent en forme ? J’écarte tout de suite cette hypothèse. Après 30km ensemble, je ne vois pas quoi y gagner. C’est tout de même bien plus intéressant ensemble. Mais les 15 derniers km ont été une réelle souffrance pour notre féminine. Et bien que nous l’ayons boostée, encouragée du mieux que l’on pouvait, que nous l’ayons quasiment empêchée de lâcher et forcée à nous suivre, cette fois, nous ne pensons pas qu’elle puisse aller plus loin. Elle se lève et nous rejoint. Je l’accueille quasiment fâché qu’elle ne m’ait pas écouté. C’est le pompier qui l’a fait se lever. Annabelle nous dit : « Bon on repart ? » ……. C’est la première fois depuis 4h qu’elle ne nous parle pas d’abandonner. On est scotchés. Cela met un terme à notre dilemme. On va finir cette course tous les trois. C’est acté à présent. Bon… Allez il faut qu’elle se ravitaille. Je lui remplis sa soupe et l’engueule quand elle se met sur son portable. « Il faut manger maintenant. Il nous reste encore de la route ».
Nous sortons du ravitaillement tous les trois. Annabelle nous dit : On court ? »
« Ola ! non, non ! On monte le Portet sur un bon rythme et après on trottine tout ce qu’on peut dans la descente ; ça va le faire maintenant, lui réponds-je . »
Finalement faire une sieste…
Elle passe devant et nous met une vilaine mine. Elle nous dépose de 50 puis 100m. Nous nous regardons avec Guillaume, mi-amusés, mi-inquiets. On finit par se demander si elle va nous attendre en haut. Je m’en veux un peu. Je me dis que je lui ai parlé un peu brutalement aux Merlans et qu’elle est peut-être vexée… Bon, finalement nous attaquons la descente ensemble. Nous marchons vite, trottinons doucement. Annabelle devant, Guillaume derrière, quelques dizaines de mètres. Petitement mais sûrement, nous cheminons dans cette descente « interminable ». Je passe les détails. La dernière descente est réellement « interminable ». Perso, mes cuisses deviennent trop dures pour réellement garder le côté : « Youhou elles sont dures mais elles répondent et m’obéissent. » Non, non. Petit à petit, elles ne répondent plus. Le cap de Pède est encore une épreuve mais je peux encore courir.
Interminable mais terminé
Nous relançons une dernière fois -mais cette fois mes souvenirs sont flous- à Soullans. Disons simplement que le regain d’énergie d’Annabelle est retombé et Guillaume a une sérieuse faiblesse. Comme quoi les souvenirs sont flous puisque je ne me rappelle plus si c’est son genou, sa cheville ou autre chose qui l’a lâché. Toujours est-il que maintenant il boite en plus. Si les souvenirs sont flous c’est bien que la fatigue me gagne. J’ai un gros coup de mou. Moi aussi je commence à m’endormir. Nous avons doublé un coureur dans le fichu cap de Pède. Mais ce qui me réveille c’est qu’il y a des frontales derrière nous qui reviennent. Ah brdl on ne va tout de même pas se faire taper à 6km de l’arrivée ? J’essaie de remotiver mes camarades. Mais sérieusement nous sommes tous un peu atteints. Moi le premier. Et si ! Finalement si. Ils sont revenus et nous ont déposés. Il faut dire que notre allure est de … 12’ au km, soit un bon 5km/h. Arrivés à Vignec, nous décidons de relancer en passant devant le restaurant ou nous mangerons demain. Bon finalement nous sommes trop HS pour le faire. Mais pas assez HS pour ne pas penser qu’il faut tomber la veste pour montrer les sponsors lors de la photo finale. Finalement, nous relançons lorsque, apercevant une nouvelle frontale derrière nous, je dis : « Allez on court ? » Le chemin le long de la Neste est une formalité (un peu longue à 8’ au km mais bon). Finalement nous franchissons la ligne des 84,5km et 5227m de dénivelé positif à 5h32. 24h31’57’’ après le départ. Nous sommes ravis. Ravis d’en finir. Ravis d’avoir réussi. Ravis qu’à 5h32 à Vielle-Aure le bar soit encore ouvert pour avoir une bière de finisher. Les jambes sont bien raides mais pas plus que ceux qui ont dû arriver il y a 10h. Enfin je crois.
Conclusion
Voilà un déroulement auquel je ne m’attendais pas. Le tour des Lacs est certainement le trail qui m’aura le plus fait souffrir. La faute à cet éternel manque de préparation. Il va falloir trouver davantage de temps pour courir et préparer les Templiers et surtout, surtout, faire du gainage et de la muscu. Je ne retiendrai pas la performance chronométrique. Mais comme on dit : « L’important n’est pas tant le but que le chemin ». Finalement ma fin de course a été plus facile physiquement et j’ai pris du plaisir (au début aussi avec les paysages traversés, ne l’oublions pas). J’ai bien aimé ce partage avec Guillaume et Annabelle. C’est un moment qui restera gravé dans nos souvenirs. Guillaume a réussi à venir à nouveau à bout d’un ultra. Un réel enseignement ces km parcourus à ses côtés. Annabelle a gagné ses lettres de noblesse dans l’ultra. Et moi j’aime bien souffrir… Que dire de plus ? Le mental est toujours aussi important mais la pression des barrières horaires est un phénomène réel. Je n’ai jamais autant regardé ma montre que lors de cette course. Je n’ai jamais fais autant d’aller-retours entre les différents menus de la montre. L’heure. La vitesse. Le temps restant. La vérif sur le profil du dossard. ET ce calcul ! En permanence ! L’allure à tenir. « Oui mais là je vais moins vite ! Donc il faudra que j’accélère sur telle portion. Oui mais si les jambes ne répondent pas ? » Ça mange la tête et l’énergie. C’est un problème constant qui t’empêche de sortir la tête de l’eau, qui t’asphyxie lentement mais surement. Cet aspect de course là, je ne l’avais jamais vécu. Et je ne souhaite pas le revivre, clairement !