Raid Aventure Pays de Vie

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Nulle part ailleurs

Nulle part ailleurs

Nous sommes le mardi 27 août, il est 10h38, je rentre de petites courses pour l’apéro de ce soir avec les copains et débute la rédaction du récit du GRP. 

Mon premier geste en arrivant à la maison ? Retirer mes chaussures, je ne les supporte pas. Il faut dire que 160KM dans les sentiers des Pyrénées, ça n’use pas que les souliers… 

Retour sur cette expérience, mon deuxième « Ultra » après l’UTPMA de 2022.

Cette course, l’Ultra Tour Solo du GRP était dans mes plans pour 2025 à la base. Je pensais faire le 80 en 2024 pour préparer au mieux le 160 en 2025, année de mes 40 ans. Finalement, je décide fin mars de changer mon dossard. Je trouverai autre chose pour mes 40 ans ! 

Le GRP, Grand Raid des Pyrénées, est une course qui me fait rêver depuis des années. Jamais je n’y ai participé, notamment en raison de sa programmation fin août (qui dit course fin août, dit qu’il faut se préparer en juin juillet août, période où les températures estivales me découragent souvent). 

Ce sera aussi la première des aventures que j’ai programmé et fait illustrer par un dessinateur en fin d’année 2023. 

Dessin de Théo ALLARD

Début décembre, j’entame donc une longue période de prépa qui m’emmènera jusqu’au GRP. Bien inspiré par le coach, les conseils des collègues et des lectures inspirées je décide de ne pas augmenter mon volume habituel d’entrainement de manière drastique. Je tourne souvent à 45-50km par semaine en prépa, et cette année je serai aussi autour de ces volumes : 5 séances par semaine de course pour 50 à 55km / semaine environ. La différence se fera sur la muscu que je vais augmenter sensiblement (2 à 3 séances spécifiques chaque semaine ainsi que de la muscu pendant les séances de course, de côtes…). 

Je prévois aussi une montée en puissance progressive : 

HIVER : courses locales, vendéennes, CO…

PRINTEMPS : deux raids multisports avec Emilie + weekend trail Pastourelle

ETE : weekend choc autour de Cauterets avec Benoît et JB.

J’appréhendais la préparation d’une telle course, finalement, j’arrive au GRP prêt physiquement. 2024 aura sans doute été ma meilleure prépa, sans être la plus éprouvante pour autant. Je ne suis ni lassé, ni blessé. Le petit plus c’est aussi de n’avoir subi aucun arrêt forcé en cours de préparation (ni covid, ni entorse ni rien…). Et la météo automnale de juin juillet m’a permis de m’entraîner sérieusement jusqu’au bout. Un peu comme si toutes les planètes s’alignaient pour me permettre de venir à bout de ce GRP. 

Au niveau mental aussi, j’ai le sentiment d’être prêt. J’ai tellement envie de cette course que j’y pense matin midi et soir depuis des mois. J’ai une détermination totale et couplée à cette préparation physique efficace, je suis rempli d’un sentiment de confiance : « je peux le faire, je vais le faire ». Je visualisais même cette dernière portion après Tournaboup, celle qui t’emmène tout droit vers le grade de finisher. Je me voyais descendre par les crêtes du Cap de Pède, finir mes quadris dans le raidard de Soulan, courir le long de la Neste et enfin rejoindre l’arrivée. J’en ai rêvé je vous dis, et dans tous mes rêves, j’étais finisher. 

Jamais je n’ai douté ? Si, en particulier quand arrive la dernière ligne droite.

Nous sommes alors mi août, je suis en congés, nous sommes revenus de quelques jours de vacances en famille et maintenant la prochaine étape c’est le GRP. Là, je me mets à baliser, je stresse, je doute, je me pose 101 questions. Matériel, météo, hydratation, sommeil, ampoules… J’ai l’impression de perdre mes moyens au pire moment. Je fais en sorte d’emmagasiner le max de sommeil mais je me sens épuisé malgré tout. Comment vais-je tenir 40H ? 

Cela dure 5-6 jours, je mets ça sur le compte du stress d’avant course. C’est normal, ça va passer me dis-je. 

Et ça passe comme c’est venu. Jeudi soir, à la veille du départ, je n’ai plus aucun doute. « Je peux le faire, je vais le faire. » Mes rêves reprennent, et la courte nuit qui précède la course est même plutôt bonne. 

05h00, je me présente vendredi matin sur la ligne de départ avec un juste mélange de confiance en moi, de détermination, et d’humilité (la montagne restera toujours bien plus forte que nous modestes coureurs armés de gourdes en plastiques et bâtons carbone).

Le départ est donné. Nous avons eu le temps de faire une photo et d’échanger quelques mots avec les copains du club. Nous sommes 41 au total à participer au GRP, dont 8 sur le 160. On part avec Flo dans la foule, difficile de voir où sont les autres. Flo est le compagnon idéal, c’est même en partie parce qu’il fait le 160 que je me suis décidé à transformer mon dossard du 80 en 160km. Je me dis que parmi nous, s’il y en a bien un qui est assuré de finir c’est lui. Les Pyrénées, c’est comme son jardin, il connait le moindre caillou posé sur notre chemin. Avec lui, c’est sûr, je vais le faire me dis-je. 

On part sur une première montée longue de plus de 20km jusqu’au col de Bastanet. L’ascension est de 1800m de D+, cela fait une belle mise en jambe (pour les lecteurs de ce récit non initiés au d+, cela équivaut à monter 6 fois au 3ème étage de la Tour Eiffel, mais sans prendre l’ascenseur…)

Mentalement, je suis bien dans ma course, content d’y être enfin après ces derniers jours de stress. Physiquement en revanche, je ressens une gêne sur mollet et ischio gauche… Je connais cette sensation pour l’avoir après les séances de vitesse, mais cela m’inquiète un peu de la ressentir à ce moment-là.

Elle s’estompera finalement devant la beauté des lacs et des paysages que nous offre le Néouvielle. 

Vue depuis le col de Bastanet

J’avance tranquillement vers le Serpolet dont on m’a tant parlé. Ce col est conforme aux attentes : droit dans la pente. Les coureurs commencent à souffrir, le soleil n’aide sans doute pas. J’avance à mon rythme, j’ai perdu Flo depuis le col de Portet et je suis donc seul RAPViste à ce moment.

Je retrouve ma compagne Emilie à la Mongie (KM30), petite pause pour discuter tous les deux et remettre de la crème aux pieds, ça chauffe déjà. Ne pas oublier la crème solaire. Ne pas oublier de bien s’hydrater, s’alimenter. La journée va être longue. Et chaude. 

On se dirige ensuite vers le col de Sencours au KM40 après une nouvelle longue montée qui en fera souffrir beaucoup. Je retrouve notamment Jérèm qui me dit avoir envie de dormir, il n’est pas dans son assiette. C’est clair que cette nouvelle montée a de quoi nous entamer. Au quart de la course, nous avons déjà grimpé un tiers du dénivelé total (10 000m au programme – 33 fois la Tour Eiffel)

A ce moment de la course, la jambe gauche ne me gêne plus mais je m’inquiète des frottements de plus en plus gênants : pied droit et dans le slibard. Il me reste 120 bornes à faire, dans quel état vais-je finir si ça commence comme ça ?! Oui, la course commence réellement sur cette portion m’a-t-on dit. Jusque là c’était un échauffement pour le plaisir. 

Arrive une section de 35km environ, majoritairement en descente mais avec 4 cols plus ou moins faciles à passer. Je découvre ce coin, sauvage et splendide.

Nous nous dirigeons vers Hautacam puis Pierrefitte en passant par le célèbre Lac Bleu. 

La section se passe plutôt bien mais j’arrive en début de nuit à Pierrefitte bien entamé quand même. Descendre n’est pas si facile, surtout pour moi piètre descendeur, et faut pas se leurrer : la journée a été longue. 

La base vie de Pierrefitte sera l’occasion de faire une pause d’une heure comme je l’avais prévu. Je suis dans les temps que je m’étais fixé à 30 minutes près donc tout va bien. Je prends une douche (froide, au tuyau) et profite de la présence de podologues pour aller refaire mon strap au pied. Cette pause me fait du bien mais quand j’active mon téléphone une nouvelle d’Emilie m’inquiète : la course risque d’être raccourcie du fait des orages annoncés le lendemain. Quelques minutes plus tard, une bénévole nous confirme l’information : les derniers coureurs seront arrêtés à Tournaboup (km130). Pas plus de précision.

Je suis un peu sonné, et partagé entre déception de ne peut être pas finir et soulagement (ça va durer moins longtemps).

Je jète un oeil au live pour voir où sont rendus les copains. David s’est blessé, et Flo a stoppé. Surprise totale tant je l’imaginais gambader jusqu’à la fin sourire aux lèvres. C’était pas son jour. Quant à Séb, forme olympique. Il a environ deux heures d’avance sur nous. Quel athlète ! 

Un groupe du RAPV se forme à la base vie, on repart à 4 avec Patrice, Jonathan, Alexis et moi. Direction Cauterets, le col du Lisey puis redescendre vers Luz dans la nuit. J’appréhende ce moment de la course, le manque de sommeil notamment et l’impitoyable montée du col du Lisey. Tout d’abord, une longue section que je partage avec Patrice. Cela fait du bien de causer un peu avec lui, j’ai très peu discuté avec les autres coureurs jusqu’à présent. 

Après une portion bien monotone (piste cyclable), on fait tout un détour dans les hauteurs avant d’arrivée au ravito de Cauterets. Ravito où je m’allongerai une quinzaine de minutes histoire de fermer les yeux, enlever sac et chaussures. Je me relève requinqué et m’engage direction le fameux col de Lisey. 

La nuit est belle et claire. Je coupe la frontale quelques instants pour lever le nez et admirer les étoiles. Ce ciel, ces montagnes, ce silence, je crois bien que je ne voudrais être nulle part ailleurs

Voir les frontales d’en bas permet de visualiser l’ampleur de la tâche.

Ah oui, le col du Lisey ! Je l’aurais presque oublié ! Je sors un premier joker et branche les écouteurs. J’ai téléchargé sur mon téléphone les musiques du moment, et celles qu’Emilie et les enfants aiment écouter. Cela ne réduit pas la pente mais me permet de me connecter un peu à eux dans ce moment charnière de la course. La montée finale est telle que je l’imaginais. Nous sommes en file indienne et nous arrêtons tous tour à tour pour reprendre notre souffle et nos esprits. La lueur de nos frontales ne permet pas de voir les visages en souffrance, mais chacun des coureurs peine à cet endroit. 

Je peine aussi, mais je me porte plutôt bien physiquement. En revanche, je suis un peu sorti de ma course depuis l’annonce de la bénévole à Pierrefitte : dans ma tête on ne fait pas la montée de la Glère (redoutable elle aussi) et on s’arrête à 130km. Patrice n’est pas de cet avis. Pour lui, sauf info contraire, il reste focus sur le parcours initial.

Et c’est vrai que les infos que nous recevons de la part des bénévoles sont assez contradictoires. Certains nous disent qu’on fait tout le parcours prévu, quand d’autres nous annoncent un arrêt à Tournaboup sans monter à la Glère.

Pause à Aulian, deuxième dodo de 15 min et deuxième joker : doliprane.

On repart avec Patrice et ce n’est qu’à Luz St Sauveur, 15km plus loin, deuxième base vie, qu’on aura l’info ferme et définitive. Nous sommes au petit matin, je reprends une douche au tuyau et me restaure comme je le peux. Mais c’est de plus en plus compliqué, les propositions sont identiques d’un ravitaillement à un autre. Manger des tuc, du saucisson et des quartiers de bananes ça va quelques heures mais deux jours + une nuit… Bref, l’annonce tombe du PC Course : pas de montée à la Glère (ce qui nous épargne 10km et 2 montées de Tour Eiffel à priori), on file direct à Tournaboup mais attention, il faut y être avant 12h30 pour avoir le droit de rallier l’arrivée ! Au moment où cette info tombe, il est 09h15, ce qui nous laisse 03h15 pour faire les 12km annoncés (mais ça monte sec donc j’ai du mal à mesurer le temps nécessaire). 

Par sécurité, je me rhabille vite fait, remballe mon sac et décolle le plus rapidement possible. Je vois que Jonathan et Alexis sont dans la salle, ils ont donc eu l’info. Patrice n’est plus là, je le pense déjà parti. 

2 coureurs sont avec moi à la sortie de Luz, on décide de partir fort car 03h15 c’est à priori serré comme timing. 

C’est parti pour 12km d’effort intense, pas question d’être stoppé à Tournaboup. Ca ferait 130km, ce qui serait déjà pas mal me direz-vous, mais la section Tournaboup-arrivée est celle dont j’ai le plus rêvé. « Quand tu pars de Tournaboup, tu vois le bout » dit on souvent. Il me restera encore 30km à faire après mais je saurai à ce moment-là que je suis finisher. Je veux absolument faire cette section, celle dont je parlais plus haut, celle dont j’ai tant rêvé. 

Allez go, ne pas réfléchir, oublier qu’on a 120km dans les guiboles et forcer. Ca démarre avec une montée sèche, le coureur qui m’accompagne m’annonce 800m de D+ sur 4km, ça rigole pas. Et en effet, ça grimpe. Tous les coureurs sont comme moi, ils fournissent un gros effort pour passer Tournaboup avant 12h30. Sur le plat on relance en courant comme si on était sur une course de 40KM. Passé la grosse difficulté, je vois le kilométrage et commence à me dire que ça va passer à Tournaboup. 

Arrive un point d’eau sur lequel un bénévole nous annonce que finalement la section fait 13km et pas 12. Bon ok, je pense que ça passe aussi mais faudrait pas en ajouter. On continue notre route et j’ai de plus en plus de mal à relancer. J’ai vraiment fourni un gros effort dans la montée et je récupère de plus en plus difficilement. 

Je m’étonne de ne pas avoir rattrapé Patrice. Je regarde derrière et ne vois pas non plus Jonathan et Alexis revenir. En revanche, nombreux sont les coureurs dans le même état d’esprit : foncer vers le prochain check point !! 

Nous croisons un coureur qui arrive de Tournaboup, il nous annonce 4.5km à faire.. Ah non ! A ma montre et vu les indications des bénévoles, on devrait être à moins de 2km !! Mais là ça ne me fait plus rigoler du tout. Je pensais avoir un petit matelas pour passer Tournaboup, et là ce matelas s’est envolé ! Je relance comme je peux, cet effort me coûte et les pieds me font mal. Je suis distancé par tous les autres dossards rouge, la panique m’envahit. Je commence à penser que je vais sortir de la course, être stoppé à Tournaboup… Le pire scénario pour moi, j’ai envie de chialer putain ! 

J’aperçois le check point au loin, il est 12h15. Je suis découragé, j’imaginais que c’était beaucoup plus près. Le manque de lucidité se fait sentir. Je suis au bord des larmes, alors que 15 min pour faire les 600m qui restent, ça passe large. Cette section m’a vraiment entamé. Je bippe à 12h19, et demande aussitôt l’info sur les prochaines barrières horaires. S’il faut fournir le même effort pour monter à la Hourquette Nère, je n’en serai pas capable et ce sera fini.

On m’annonce 03h00 pour monter au refuge, ouf. J’y suis monté en 01h45 l’an dernier et même si je n’avais pas 32h dans les jambes, je sais que 03h ça passe sans forcer. 

Me voilà soulagé, je peux me ravitailler et faire retomber la pression. 

Emilie est là avec des amis du basket. On discute un peu avant que je reparte pour la dernière section. Après quelques minutes, je vais mieux car je sais que je vais finir, il faudra certes de la patience car j’ai encore 07 à 08h à faire avant de passer la ligne, mais sauf grosse blessure, je vais venir à bout de ce GRP 160. 

En partant de Tournaboup

Dans la montée vers le refuge, on retrouve les coureurs du 120, la fin du peloton j’imagine. Ca va pas fort. Puis, plus haut, ceux du 80 qui ont été déroutés sur un parcours de 60km du fait des orages attendus dans la soirée. Eux aussi doivent se dire en me voyant que ça va pas fort. Je suis lent et je les ralentis notamment dans la descente après la Hourquette. Certains courent de manière fluide dans cette partie technique, je les admire autant que je les crains. J’ai peur que l’un d’eux chute et m’emporte avec lui. Se blesser ainsi et ici serait dur à encaisser. 

J’ai finalement du mal à apprécier comme je l’imaginais cette portion. Trop de monde d’un coup, je ne m’étais pas préparé à ça. Et puis parmi les RAPVistes engagés sur le 80, ils sont à priori déjà passés. Un peu de compagnie aurait été appréciée, mais je les aurais sévèrement ralenti. 

Je finis par rallier l’arrivée après une dernière descente laborieuse. Les pieds me font un mal de chien, j’ai de plus en plus de mal à supporter cette douleur (sans doute parce que je sais que c’est la fin). 

On prend l’orage dans la descente, je suis trempé. Je me dis que mon arrivée à Vielle-Aura se fera solo, pas grave, au moins je vais la passer cette ligne ! 

L’avantage de faire une descente lente, c’est que ça laisse le temps à la pluie de cesser. Je passerai la ligne avec Emilie et Mélo en accompagnatrices, et les copains du RAPV en supporters de choc ! Merci pour cet accueil. 

A l’arrivée, j’apprendrai que nous ne sommes que deux RAPVistes sur huit engagés à rallier Vielle-Aure en courant. Patrice, Jonathan et Alexis ont été stoppés à Tournaboup. 

Sur 600 coureurs, nous sommes 239 classés et 148 à rallier l’arrivée. Seuls les 63 permiers ont fait l’intégralité du parcours (avec le passage à la Glère). Je termine 146ème. 

Je termine surtout cette course heureux du parcours accompli, d’avoir atteint cet objectif majeur pour moi et le terminer en bonne santé. Quelques bobos aux pieds certes, mais un état global tout à fait satisfaisant compte tenu de la promenade que nous avons réalisé. 

Je termine aussi en me disant que le dicton « Plus c’est long plus c’est bon » ne vaut pas forcément pour le trail. 40 heures d’une traite, c’est quand même vraiment très long. 

Peut être que lorsque mes pieds auront dégonflé et que je pourrai de nouveau enfiler des chaussures sans faire la grimace, je pourrai me projeter sur les Templiers, prochaine course qui arrive dans moins de deux mois. En attendant, récupérer et profiter. Raconter aussi, pour continuer de rêver. Merci d’avoir lu jusqu’ici. Bisous.