MIUT 115, mon 1er « vrai » Ultra
Elle faisait partie des quelques courses internationales dont je rêvais depuis quelques années, le MIUT (Madeira International Ultra Trail) est réputé pour être une course particulièrement relevée, c’est pourquoi elle attire des coureurs de tous les pays, plus de 57 nationalités sont présentes.
En 2023 c’est décidé, je tente le coup.
Dès le mois d’aout je réserve un appartement pour être sûr d’avoir un bon emplacement à un tarif correct.
Je missionne mon associé pour prendre mon dossard, car le jour de l’ouverture début septembre, j’étais à gambader dans les Alpes sur le GR5 avec une partie du RAPV.
Comme il a bien assuré, le dossard est dans la poche, on ira donc pas juste faire du tourisme 🙂 La bonne nouvelle c’est que Damien et Mika seront aussi de la partie sur le 115 !
Je commence la prépa dès janvier, pour repartir doucement, puis plus intensément à partir de février. Tout se passe bien, j’arrive en forme et sans blessure à Madère, en famille, 6 jours avant la course.
Madère
Nous prenons le temps de visiter l’île, semaine d’affutage, donc une seule petite sortie qui me fait prendre conscience que c’est abrupt et plein de marches. Le reste du temps nous marchons beaucoup pour visiter les villes et villages et faisons de petites randonnées.
L’île est magnifique, pas un seul morceau de plat, une végétation luxuriante, des fruits exotiques poussent partout : mangues, fruits de la passions, bananes, avocats et bien d’autres inconnus chez nous.
Nous dégustons aussi la bière locale (Coral) et les ponchas (punch local à base de citron, fruits de la passion ou d’orange).
Arrive le mercredi, jour d’ouverture des retraits de dossards, direction Machico, ville d’arrivée de toutes les courses du MIUT (115Km, 82Km, 60Km, 42Km et 16Km). Sur place nous découvrons l’arche d’arrivée et le petit village Trail. Retrait rapide et efficace du dossard et du lot de bienvenue, l’organisation est bien rodée, c’est déjà la 14ème édition.
Jour J
Je rejoins Damien sur le parking à l’entrée de Machico, pour rallier le départ avec les bus organisés, Mika pour sa part nous rejoins directement à Porto Moniz, ville du départ, au nord de l’île. Il nous faut 1h30 pour traverser Madère, il est 21h30 quand nous arrivons, le départ, lui, sera donné à minuit… Nous patientons tranquillement dans un coin pour rentrer dans le SAS vers 23h afin de ne pas être trop mal placé, nous sommes à peu près au milieu, ça nous évitera le plus gros des bouchons.
Départ (Porto Moniz) -> CP1(Fanal)
[14,5Km / 1515D+ / 410 D-]
Nous partons chacun à notre rythme, sachant qu’on ne sera pas forcément amené à se recroiser tant nos projections sont écartés : aux alentours de 22h pour Mika, 24h pour Damien et plutôt 26h pour ma part.
Première côte de 400m au bout de moins d’1km, sur une route en bitume qui nous mêne en haut de Porto Moniz. Aussitôt avalée, nous voilà à redescendre sur des marches en bétons, inégales, arrondies, ce qui en freine certains et entraîne déjà les premiers ralentissements et effet accordéon. Le village du bas, Ribieira de Janera, est remplit de supporters, comme c’est à coté du départ, tous les accompagnateurs sont là, avec les cloches, trompettes et tambourins, l’ambiance est incroyable !
Mais ça ne dure pas car nous remontons déjà à travers les rues, via des grands escaliers aux marches bien façonnées (ce qui est assez rare là-bas). En me retournant je vois encore une file de lampes frontales qui descend de l’autre coté, il y a beaucoup de monde devant, mais encore plus derrière visiblement.
Reste 1100m de dénivelé à grimper avant le premier ravitaillement.
Nous sortons rapidement de la ville pour arriver dans une jungle humide, le terrain est humide mais pas trop gras, la température est idéale, c’est parfait pour le moment. Je cours tranquillement mais avec un certain rythme tout de même, car la première barrière horaire est serrée et dans le doute je préfère prendre un peu d’avance.
J’arrive au premier ravito 20mn avant mes estimations, en 2h27 environ. Je ne le sais pas mais Damien à ce moment de la course est 10mn derrière et Mika 5mn devant.
CP1 -> CP2 (Chao da Ribeira)
[7,9Km / 130D+ / 815D-]
Arrive la première vraie descente (800m D-), bien technique, avec des racines, des gros cailloux et… des marches, bien sûr, ici en rondins, là en cailloux, et l’humidité n’aide pas pour avoir des appuis stables. Les gardes corps tout le long laisse à penser que ça doit être bien haut à coté, mais on ne voit rien.
Dans cette descente je me tords une première fois la cheville gauche, je ne vois pas trop où je pose les pieds avec les coureurs qui sont devant. Puis c’est au tour de la droite et enfin une dernière fois la gauche, tout ça en 10mn. La confiance en mes chevilles vacille, je décide d’y aller mollo pour m’épargner d’autres foulures.
J’arrive à 3h45 au checkpoint, je suis bon sur mon estimation avec 5mn d’avance, Damien me suis à 15mn et Mika continue de nous devancer de 13mn.
CP2 -> CP3 (Estanquinhos)
[10,3Km / 1385D+ / 235D-]
Vous vous doutez bien, après une belle descente comme ça…on repart pour une belle montée sèche ! C’est sur cette section que je commence à avoir un premier coup de fatigue, peu de temps après le ravito, je ressens le manque de sommeil accumulé pendant la semaine, et je n’ai pas réussis à faire de sieste l’après-midi avant la course.
Gros coup de barre donc et surtout le froid s’installe, plus on monte, plus il est saisissant. On a pas su quelle température il y a eu exactement mais le givre était présent…
À ce moment là je ne réagis pas comme il aurait fallu, je persiste à avancer dans le froid, en m’endormant, pendant une bonne heure. Je n’ai pas envie de m’arrêter, je dois retirer mon softshell que j’ai passé par dessus le sac à dos, je suis trempé de sueur et je sais que je vais avoir froid (encore plus) le temps de tout sortir et de m’habiller. Mais bon pas le choix, je dois prendre enfin la décision de m’arrêter pour mettre sur moi tout ce que j’avais dans le sac : en premier lieu les gants, puis les manchettes et j’enfile par dessus mon imperméable. Je n’ai rien d’autres pour me couvrir.
Mon sac m’irrite tout le bas du dos avec le frottement et la sueur, je passe de la vaseline mais c’est déjà trop tard.
Arrivée à 6h33, recharge d’eau, 2 morceaux de bananes et un bol de soupe qui me fait vraiment du bien après ce froid. Damien est probablement en même temps que moi sur le ravito mais on se rate, il est arrivé 2 minutes avant moi. Micka à 40mn d’avance sur nous.
CP3 -> CP4 (Encumeada)
[15,7Km / 640D+ / 1380D-]
Grande descente sans marches, que ça fait du bien de pouvoir se lâcher un peu, en admirant le levé du jour. Je descend plutôt bien parmi les pierres, le chemin est large, on peut se doubler facilement même si maintenant il n’y a pas foule, on est bien éparpillé tout le long de la montagne. Un point de coté m’empêche de bien courir jusqu’en bas, je prend mon mal en patience et alterne marche et course, c’est rageant car c’est le premier passage où on peut envoyer un peu.
Arrivé en bas, je retrouve un maillot bleu et noir devant moi ! Damien ! ça fait du bien au moral, on échange un peu sur notre ressenti de la nuit, il me raconte ses gamelles et me dit qu’il a freiné un peu car il a mal à un orteil en descente. On continu ensemble jusqu’à la prochaine ‘petite’ montée de 640mD+, où je le laisse partir devant, il grimpe plus fort que moi et je ne veux pas me mettre dans le rouge.
On se retrouve à Encumeada pour manger ensemble, une grosse assiette de riz et de viande hachée façon bolognaise.
CP4 -> CP5, la base de vie (Curral das freiras)
[14,8Km/ 935D+ / 1130D-]
Nous repartons ensemble pour quelques kilomètres, petite descente bien pentue en béton, pour casser les cuisses, puis on repars à l’assaut des pentes Madériennes. Nous faisons 3 ou 4Km ensemble et je le laisse suivre son rythme avec un gars devant.
Au bout d’une heure je commence à souffrir de la chaleur et je pense que j’ai trop mangé au ravito, la digestion commence et me met un sacré coup, j’ai l’impression de grimper comme un escargot. Je m’arrête plusieurs fois, pour enlever une couche, puis pour mettre de la vaseline, mouiller la tête et recharger une flasque (seule fois de la course où je trouve qq sources), etc.
Arrive enfin la descente, dans ma tête la base de vie est en bas, mais la fin n’arrive jamais, c’est long, c’est lent…
Ouf on voit enfin le bout ! Ha mais non, la base de vie est sur un promontoire, quand j’arrive face à ce mur rose, rempli d’escaliers et de coureurs, je suis désespéré, encore au moins 100m à gravir (100% escalier) ! Il va falloir attendre encore quelques longues minutes pour franchir les portes du gymnase.
Je croise Anaëlle et Alex qui repartent de la base de vie, ils sont sur le 85 et font la course ensemble, ils me disent que Damien vient d’arriver.
Je me pose, j’appelle ma femme et lui dit que je compte arrêter, grand ras le bol.
Elle me motive et me dit que je peux aller plus loin, qu’il faut que je prenne mon temps.
J’aperçois Damien qui part chercher à manger, il est là depuis 15mn et à déjà pris sa douche. Je l’accompagne et prend à nouveau une grande assiette de pâtes avec la viande bolognaise. Il repart seul et je prend le temps d’aller me doucher aussi, avant de me changer intégralement. On apprendra le lendemain que Mika a stoppé sa course ici, suite à deux chutes et une branche qui lui a ouvert un petit peu le crâne (1 point de suture à la base de vie).
Je repars frais mais sans grande motivation après une heure à la base de vie, donc vers les 14h.
Je veux quand même voir le Pico Ruivo, le point culminant de l’île à 1760m d’altitude.
CP5 -> CP6 (Pico Ruivo)
[11Km / 1475D+ / 305D-]
La sortie de la base de vie se fait dans un minuscule village, donc sur route bitumée, puis nous bifurquons sur un petit chemin de terre qui grimpe dans une forêt d’eucalyptus. L’odeur est formidable, de longues feuilles pointues et de grands morceaux d’écorces jonchent le sol, c’est magnifique. Arrive cet instant magique où les nuages traversent la forêt, l’ambiance est vraiment particulière.
Je recommence à prendre sur moi, je suis lent, la digestion me rend pataud, ça n’avance à rien, mais je grimpe tant bien que mal, un pas après l’autre. Je sors des nuages et apprécie la vue, le soleil cogne à nouveau. À ce moment je n’ai plus trop de notion d’où j’en suis sur la section, j’ai l’impression d’avoir fais les 3/4, je crois qu’il me reste plus qu’un ou deux kilomètres, alors que je n’ai pas fais la moitié. Je prend donc une claque à chaque virage, quand je constate que nous sommes toujours loin de l’objectif, je ne le vois même pas encore…
Pfff, ça chauffe, je n’ai plus d’eau depuis déjà un moment. Voilà 3h que je grimpe, je surveille l’altimètre pour voir si on s’approche, mais on n’arrête pas de faire le yoyo, un coup on descend, un coup on monte, je n’en vois pas le bout. Je broie du noir déjà depuis plusieurs heures (6h à ce moment là), j’attend le coup de boost, que le jus revienne, mais non, jamais, je reste un légume qui se traine.
Un bénévole scanne les dossards sur le chemin, je lui demande combien il reste de temps pour arriver au Pico, « uma hora, mais ou menos », donc je me doute que je vais mettre plus, je me dit 1h15, j’en mettrai 1h45 finalement. On longe les rochers, des gardes corps sont installés sur les parties les plus abruptes, le panorama est splendide, la mer de nuages laisse transpercer les plus hauts picos de l’île. Je me met à l’ombre quand j’en trouve, m’arrête toutes les 10mn pour essayer de profiter du peu de fraicheur, je recommence à m’endormir, il est 17h et je trouve ça interminable.
J’arrive enfin en haut, il est 18h30, soit 4h30 d’ascension (et un peu de descente c’est vrai).
Fin de chantier !
Je suis démotivé au possible, je n’ai qu’une envie c’est que ça s’arrête, là, maintenant, tout de suite. Je ne vois pas l’intérêt de continuer si je n’apprécie pas le moment.
Je ne souffre pas musculairement, mais le manque de sommeil, le manque d’eau, l’idée de devoir refaire une nuit, remettre le softshell trempé de sueur, et surtout me trainer pendant encore 40Km et les 1000m de D+ qui m’attendent, font que je me dis que c’est terminé pour moi. C’est la meilleure option à ce moment là dans ma tête.
Je calcule rapidement qu’il me reste au moins 9h vu mon rythme, je n’arrive pas à me projeter. 18h30 que je traverse l’île, dont au moins 7h dans un état très moyen, je me dis que j’ai fais de mon mieux, 6000m de D+ c’est déjà un record pour moi.
Bref, je vais voir la cheffe de poste et lui demande comment ça se passe pour arrêter ici. Elle m’explique que c’est le seul ravitaillement qui ne possède pas de route. Il faut donc redescendre à un village qui est à 3km pour qu’on vienne me chercher. Ensuite elle me parle d’attendre le bus pendant 2 à 3h, là comme je suis déphasé, je crois que le bus va venir ici (alors que 2 minutes avant elle m’explique bien qu’il n’y a pas de route!). Je décide donc de ne pas demander à ma femme de venir me chercher, je vais attendre le bus.
Sauf que nous devons attendre la fermeture du CP, et surtout attendre tous ceux qui sont éliminés par la barrière horaire. Donc au final, après plus de 3h d’attente, nous voilà à descendre vers le fameux village, avec un petit chemin bétonné et avec des marches pour bien conclure. Il me faut 45mn pour faire les 3km, puis j’attend dans le bus pendant 45mn que tous le monde arrive, et les blessés n’avancent pas vite forcément, dont une qui descend en barquette avec les secours.
J’arrive enfin à Machico à 23h30, soit 5h après mon abandon, autant dire que j’ai déjà eu le temps de regretter d’avoir lâcher prise à ce moment là.
Bilan
L’expérience que j’en tire est énorme, primo, la gestion du sommeil les jours qui précède, je le savais déjà mais là j’ai pu le vérifier, j’ai fais une grosse la nuit à cause de ça (ne pas me couvrir assez tôt). Secondo, la préparation au départ à minuit, je n’ai pas fait un seul entrainement de nuit, grosse erreur, pour gérer le froid et la fatigue. Tertio, la quantité de nourriture au ravitaillement, j’ai trop mangé, la digestion est longue et fatigue énormément l’organisme, encore plus sous le soleil et quand on manque d’eau. Quatro, la prépa mentale ! Longtemps j’ai cru que ça ne servait à rien, que je n’en avait pas besoin… je sais maintenant que c’est une erreur, sur les Ultras, il faut se préparer aux longs passages à vide, si la tête décroche, c’est foutu.
Je pense que je reviendrai pour terminer cette course assez hors norme, maintenant je sais à quoi m’attendre.
Quelques stats
981 inscrits, 890 partants, 207 abandons, 31 disqualifiés (hors délais).
- 8 en moins après le CP1,
- 20 en moins au CP2,
- 26 en moins au CP3,
- 22 en moins au CP4,
- 82 se sont arrêtés à la base vie (CP5),
- 29 ont stoppés au Pico (CP6),
- 10 au CP7,
- 27 au CP8,
- 13 au CP9
- et un seul entre le CP9 et l’arrivée.
On constate donc qu’après le Pico, il n’y a plus autant d’abandon ou de hors délais.