« Tout se passe comme prévu »
Je suis entré dans le monde de l’ultra trail et j’ai eu envie de raconter cette expérience,
Voici le récit de mon expérience du 18 juin dernier à Aurillac
UTPMA – Ultra Trail du Puy Mary Aurillac – 110KM – 5500D+
Chapitre 1 – La prépa
J’ai commencé la prépa physique en … 2020. Oui parce qu’en 2020 j’étais inscrit à l’UTPMA, mais tu connais… le pangolin, tousser dans son coude, les tests naso pharyngés… je te la refais pas.
Bref, pour 2022 j’y retourne et ça tombe bien ça fait partie des « courses club » ce qui veut dire qu’on sera plusieurs copains du RAPV à y aller.
Je suis donc du mieux que je peux le plan des coachs, qui est fait de course et de muscu. Les séances sont variées, ludiques, pas prise de tête. Je sens les progrès au fur et à mesure, notamment la muscu qui porte ses fruits. Je me sens « puissant » et donc confiant. Deux bobos viendront perturber légèrement cette prépa (tendinite achilléenne en mars, entorse en avril) mais sans conséquence. Ma prépa tourne autour de 50km + 1 à 2 séances de renfo par semaine.
J’ai aussi eu deux ans pour préparer mentalement cet objectif. C’est mon premier 100km, mon premier « ultra » donc aussi au niveau mental ça se prépare. Si les jambes peuvent m’emmener au bout. Mon cerveau peut aussi m’arrêter net, ou me transcender. Il me semble donc essentiel de ne pas négliger cet aspect.
Depuis décembre dernier, je l’ai donc en tête et je garde précieusement en mémoire les conseils lus ou entendus par ci par là. Je sais qu’ils pourront m’être utiles à un moment. Je me dis en effet que pendant l’effort, je risque de perdre en lucidité. Et prendre une décision que je pourrai regretter, comme abandonner. Alors j’essaye d’anticiper le max des difficultés que je peux rencontrer :
- j’ai envie de dormir,
- j’ai mal aux jambes,
- j’en ai ras le bol, je veux que ça se termine,
- raaah saleté d’ampoule,
- merde j’ai le TFL qui siffle…
Si ça arrive, c’est que « tout se passe comme prévu« .
Alors let’s go.
Chapitre 2 – La canicule
Bon, y’a quand même un truc que j’avais pas anticipé. Le rapport du GIEC, moi non plus je l’ai pas lu.
Alors je pouvais pas me douter que le climat était détraqué et qu’on allait avoir une vague de chaleur historique à cette période.
8 jours avant la course, 37°C annoncés à Aurillac !! Moi qui ne supporte pas la chaleur, me voilà servi.
Alors pendant la semaine, je prends les conseils par ci par là sur la gestion de l’effort en pleine chaleur, de l’hydratation etc…Les organisateurs ont d’ailleurs bien briefé les inscrits plusieurs jours avant. Et les copains du RAPV ou les ressources du net ont fait le reste. J’ai mon plan de marche. Bien m’hydrater avant la course, pendant la course, faire baisser la température du corps, me rafraîchir dès que possible dans le moindre ruisseau ou flaque de boue…
Chapitre 3 – La course
DEPART – Aurillac – KM 0
Le départ est à minuit alors micro sieste avant de partir.
On est 13 du club à se retrouver sur la ligne de départ. Je baille 2-3 fois, mais le speaker donne le top. Quand faut y aller…
Ambiance au top, beaucoup de monde présent pour encourager les coureur.euses ou pour boire un coup dans le centre d’Aurillac. Feu d’artifice et applaudissements nourris, ça réveille. On commence à grimper doucement dès les premiers hectomètres. Ca y est je transpire.
La nuit n’est pas un grand moment. Je ne vois pas bien où je mets les pieds (frontale Décath quand d’autres ont des phares de bagnoles sur le front), je bouffe de la poussière, et les sensations ne sont pas ouf. Bide serré, mal aux trapèzes (le poids du sac ? l’usage des bâtons ?) et 1er ravito au bout de 16km, la bouffe ne passe pas. Je savais que ça pouvait arriver, alors disons que « tout se passe comme prévu »
La plupart des copains sont déjà passés, Mathias est pas loin, et Raphaël et Pascal me retrouvent au ravito de Velzic (il est 02h11, km 16, 379ème)
Les 16km qui nous séparent du prochain ravito, au col du Perthus vont nous faire grimper davantage. Les sentiers ont l’air chouettes, la vue l’est sans doute autant mais on y voit rien. J’alterne marche et course de manière prudente, pas question de se faire une cheville dès le début. Vers 04h00, j’ai un gros coup de fatigue. Les yeux piquent, j’ai hâte que le jour se lève et mes pieds me font déjà souffrir. Là aussi, j’essaye de me dire que « tout se passe comme prévu ».
A 05h45, j’arrive au Col du Perthus, le jour s’est levé et je me sens beaucoup mieux. Incapable de dire si c’est le mental ou autre chose, mais les sensations sont bien meilleures. Je prends.
Je retrouve plusieurs copains du RAPV au ravitaillement, dont Seb qui a fait une sieste et me file un 1er conseil : « Si t’as envie de dormir, te pose pas la question arrête toi et dors un peu ». Romain n’est pas arrivé et Jonathan a abandonné. J’aperçois les lits d’infirmerie qui sont remplis près du ravitaillement, je me dis que la journée va être longue.
Je n’arrive toujours pas à manger grand chose, je range la frontale dans le sac en espérant ne pas avoir à la ressortir d’ici Aurillac. On entame une descente qui se fait facilement et qui nous emmènera vers la montée au Plomb du Cantal.
Dans la descente, je rejoins un coureur torse nu, si tôt le matin, je me dis que le pauvre va souffrir. On discute un peu, il est de Cholet. Je lui file quelques conseils lus ci et là cette semaine au sujet de la chaleur, car il semble l’appréhender encore plus que moi. Sa course en descente est assez désordonnée, je le trouve pas au mieux. Je le laisse et commence à monter le Plomb du Cantal.
Le début est chouette, à l’ombre des arbres, ça monte sec mais avec les bâtons ça passe. Mon rythme est très correct, je fais 1 ou 2 photos et essaye de profiter un peu des paysages lorsque la vue se dégage.
Et arrive la portion sans bâtons. J’aperçois le panneau et je lève les yeux devant moi. Je vois le chemin à parcourir, avec une file indienne de coureurs, enfin de marcheurs et ça s’étire sur….. je sais pas mais vu d’en bas ça semble interminable.
Faut débrancher le cerveau et y aller. Alors j’y vais. Je suis plutôt à l’aise dans les montées généralement, et celle-ci aussi. Je double tranquillement quelques coureurs, je marque quelques pauses quand même, c’est raide. Les % n’ont rien à envier à ceux des Pyrénées. Le sommet se rapproche, je pioche un peu, comme tout le monde. Tout le monde, sauf le coureur de Cholet qui nous double avec une aisance indécente. Il aurait pu siffloter que c’était pareil. J’avais l’impression qu’il était tracté le gars.
Le sommet se profile, je ne traîne pas, je fais une photo histoire de et je commence à descendre.
Hâte d’arriver à la base de vie, on sera quasiment à mi course.
La descente n’est pas facile, on prend 600 D- et ça laisse des traces. Je commence à regarder la montre et les passages horaires.
J’ai 3h d’avance sur les barrières, mais 45 min de retard sur mes passages estimés. « Tout se passe comme prévu »…
Base de vie – Le Lioran – KM 51
Comme au Perthus, je retrouve des copains du club. Avant de partir, Seb me file un nouveau conseil que je vais appliquer avec soin : « Arrose toi les adducteurs, c’est hyper vascularisé, ça fait trop de bien et ça fait baisser la température du corps ».
Olivier part peu de temps après lui. Je prends une trentaine de minutes pour me reposer, me rafraîchir grâce au bénévole armé d’un tuyau d’arrosage, manger (un peu, ça passe toujours pas trop) et prévenir l’apparition d’ampoules.
Je m’étonne de ne pas voir Mathias arriver, mais nous repartons (Sylvain & moi) direction le Puy Mary. La chaleur se fait sentir, nous sommes sur des portions bien exposées au soleil, mais heureusement il y a de l’air.
On a du rythme, une bénévole nous félicite, « la montée est dynamique, c’est bien ». Arrive un point d’eau, Sylvain demande « c’est où le Puy Mary ? ». Le bénévole nous le montre du doigt. Ca paraît loin dis donc…
Plus on avance, plus on voit le Puy Mary se dresser devant nous. Comme au Plomb du Cantal, tu aperçois la trace à grimper avec la file indienne de coureurs. Vu d’en bas, ça fait pas rêver. On passe une partie hyper technique, y’a même une corde pour nous aider à grimper. Moi qui pensais que le Massif central c’était roulant, je retrouverai une portion à peu près aussi technique vers Puy Chavaroche.
En attendant, faut passer le Puy Mary. C’est reparti, on débranche le cerveau, on lâche les bâtons (interdits dans la montée) et lets go.
C’est raide, en plein soleil, on monte tous un peu laborieusement.
Je ronchonne tellement que j’en oublie de lever les yeux à gauche pour observer la vue. A y repenser maintenant, elle devait être superbe ! C’est con.
Je pioche un peu mais j’avance. « Tout se passe comme prévu ».
Sommet du Puy Mary, je redescends aussi sec vers le point d’eau, km 61, situé en contre bas. Je bippe à 12h46, 206ème. Je sais que je gagne énormément de places depuis le départ, ma mère me le signifie fièrement sur Whatsapp (merci môman!), mais je sais aussi que bon nombre de ces places gagnées sont liées aux abandons à répétition.
Je retrouve donc Olivier et sa famille au point d’eau. Assistance des LE CORNEC aux petits soins, composée de St Yorre et brumisateur. Le top du top.
On repart tranquillement avec Olivier et on attaque une portion que je n’ai pas apprécié. Non pas que c’était pas joli, mais je suis un peu dans le dur, c’est plutôt plat mais trop de cailloux et de racines, et bonhomme trop abîmé pour courir sur ce terrain. Olivier s’échappe.
Le mental va toucher son point le plus bas de cette course pour moi. Je compte les KM qui me restent à parcourir (un marathon grosso modo), j’essaye un rapide calcul pour savoir combien de temps je vais mettre pour rallier Aurillac. Il fera nuit c’est sûr, la flemme. Me reste au moins, 8, 10h. Ai-je envie de ça ? Deux gros morceaux arrivent, la descente vers Mandailles puis la remontée vers Cabrespine. En suis-je capable ?
Le doute s’installe, l’envie d’arrêter clignote. Ca dure un petit moment. Je savais que ce moment allait arriver, donc t’affole pas Thomas car « tout se passe comme prévu ».
Dans un éclair de lucidité, je me dis donc que j’ai de la marge sur les barrières, que je savais que ce moment allait venir, et je sais aussi qu’il va passer.
Donc j’avance, un pas après l’autre et on voit ce qu’il se passe.
J’attaque donc une grosse descente vers Mandailles qui se passe mieux que ce que j’imaginais. 800D- c’est pas rien, mais ça se fait. Tiens, le poto de Cholet qui est là. Il boîte.
« Ca va pas ? »
« Mon genou a pété » me dit-il
« Pété ? Comment ça ? »
« Ca siffle, ça coince, je peux plus courir »
Sans doute une tendinite ou qqch du genre. J’appréhendais moi aussi mon genou droit qui sifflait en fin de prépa (TFL) mais jusque-là tout va bien.
Je continue ma descente vers Mandailles, où j’envisage une petite sieste avant d’aborder le dernier tiers de cet ultra.
Mandailles – KM 73
J’y arrive à 14h50, en retard d’une bonne heure sur mon estimation, je suis 188ème.
Olivier est là, Sylvain nous rejoint peu de temps après. On prend le temps de bien se rafraîchir. Je repars avec Olivier, Sylvain se pose un peu. Je suis confiant pour la fin, convaincu qu’on est bien parti pour finir.
On sait que la montée vers Cabrespine est un gros morceau, le dernier gros de la journée, et on se demande à quelle sauce le soleil va nous becqueter.
Le début de la montée se fait à l’ombre des arbres. C’est raide. Olivier se met devant moi, et il entame une montée hyper efficace et ultra régulière. Une leçon. Je prends soin de rester dans son sillage, cerveau débranché, j’ai juste à essayer de m’accrocher à son rythme. Olivier fait le reste.
On ne marque aucune pause jusqu’au sommet, et on dépasse tous les concurrents qui sont sur notre route.
Les bassins des vaches qui sont sur notre route sont une belle occaz de nous rafraîchir, et je continue d’appliquer le conseil de Seb : adducteurs trempés, quel pied !
La longue descente nous emmène vers Lascelle. Olivier est pris de maux de ventre. Il lâche l’affaire, après avoir déjà bien ruminé à Mandailles.
Je suis sûr qu’il avait en tête le resto du soir le gourmand ! Je serai pas à l’heure moi, je préviens les copains. Je mangerai une énième pompote et basta !
La descente se termine donc seul pour moi, dans la Vallée de la Jordanne, c’est joli, il y a de l’ombre et de l’eau. Je marche un peu, marche rapide mais marche quand même.
Lascelle, KM 89, à 18h58, 161ème.
Je me pose un peu, j’ai mal aux jambes, je grignote et remplis les flasques avant de poursuivre sur une portion que je connais pour l’avoir emprunté lors du Marathon de la Jordanne en 2019.
Les bosses sont moins longues mais je me souviens d’un mur que j’appréhende un peu.
Je repars avec un gars qui ressemble à Jim WALMSLEY, bouclettes, Hoka au pied et bob sur la tête. 3 coureurs nous rejoignent, nous sommes 5 et on entame le mur que j’appréhendais.
On est à l’ombre, ça grimpe à +30%, y’en a pas un qui cause. La seule femme du groupe se place en tête et nous emmène.
Quelques centaines de mètres plus loin, elle se range pour boire un peu, et s’effondre. Malaise, les yeux qui partent et tout et tout.
Tout le monde s’affole mais elle reprend ses esprits. Un de ses amis prend soin d’elle. On se dit avec « Jim » qu’il va falloir rester prudent jusqu’au bout, je veille à bien m’hydrater et manger ce que je peux.
J’en suis à mon 20ème cacheton de Sportenine, 1 toutes les heures. Réglé comme du papier à musique.
Dans une autre montée, un autre coureur s’arrête sur un rocher, visage blanc comme le polo du RAPV, il a besoin de manger mais ne peut rien avaler.
« Ca m’est tombé dessus sans prévenir, j’ai rien compris ». La femme qui a fait son malaise quelques minutes plus tôt nous a dit exactement la même chose.
Avec « Jim », on se conforte dans l’idée de rester prudent jusqu’à la ligne. Faut pas déconner.
Il profite de ma pause pipi pour placer une attaque. Je déconne mais il file et je finirai seul. Du coup, je rumine, il est 20h passé, je pensais être arrivé à cette heure-ci et je commence à en avoir ras le bol.
Le ravito de St Simon tarde à arriver, la montre indique qu’on aurait dû le passer il y a déjà 3 KM et je vois pas l’ombre d’un bol de soupe.
Je suis dans une phase où j’ai hâte que ça soit fini, je ne profite pas vraiment de ce moment. Là aussi, disons que « tout se passe comme prévu. »
J’avance comme je peux, alternant marche et course désarticulée. Tout en ronchonnant (comme je sais si bien le faire me dirait ma chère et tendre).
St Simon passé à 21h21, 152ème, je me dirige vers Aurillac. Je franchis peut de temps après la barre mythique des 100km. Je regarde ma montre passer de 99.9 à 100.0. Je pensais ressentir des gili dans le ventre. Je ressens rien. Enfin si, j’ai mal aux pieds.
Je suis obligé de ressortir la frontale et on passe sur le bitume. Un faux plat descendant qui me permettra de faire mon meilleur KM de la journée, au 106ème en 6:06. C’est pas ouf on est bien d’accord mais après cette distance, ça me fait marrer.
J’ai un peu de mal à me repérer sur quelques changements de direction, le fléchage se voit mal dans la nuit. J’essaye de rester efficace malgré tout car je dois récupérer mon sac « base de vie » avant 23h00.
Je reconnais l’arrivée pour l’avoir emprunté aussi en 2019, ça y est, ça sent vraiment bon.
Je cours, enfin, je trottine dans les rues d’Aurillac, sous les applaudissements des supporters, des bénévoles et des gens attablés dans les restos et les bars. Toute la journée, les encouragements et les félicitations nous ont accompagné, un état d’esprit incroyable de leur part qui aura duré toute la journée.
Je passe l’esplanade qu’on a quitté tôt ce matin sous un feu d’artifice, et je trace vers la ligne d’arrivée. 22h37, je suis 149ème.
FINISHER – Aurillac – KM 110 – 22h37
Je pensais crier, sauter de joie, me mettre à chialer, ou au moins ressentir un peu d’émotion bordel !
Même pas, je ne pense qu’à récupérer mon sac avant la fermeture et manger un bout de melon au ravito de fin.
Sylvain et Pascal arriveront quelques dizaines de minutes après moi, on entre tous les 3 dans le cercle des « centbornards ». Dans ces conditions, 62% d’abandons ont été comptés par l’organisateur, nous pouvons être fiers de nous.
On partage une bière avec Mathias, rentré avec la navette après avoir stoppé à Lascelle. Bravo aussi à lui, à ceux qui ont abandonné et spécial bravo à Anthony, qui a terminé dernier mais après 26h50 d’effort. Le gars il a du mental !
Chapitre 4 « Soit je gagne, soit j’apprends »
J’ai pas gagné la course, et c’est pas une surprise immense d’ailleurs, mais j’ai atteint mon objectif.
Je suis finisher de mon premier ultratrail et je reviens du Cantal avec de précieux enseignements.
- Ils le disent tous au RAPV : la muscu, c’est essentiel. Je m’y suis astreint, ça a payé.
- Gérer les hauts et les bas : ne pas s’enflammer quand ça va bien, ne pas s’affoler quand ça va pas.
- Anticiper les difficultés que je peux rencontrer et trouver à l’avance des solutions possibles : c’est toujours plus facile d’y penser quand tu es tranquillement chez toi qu’en haut d’un col à +32°C après 65KM.
- La chaleur : avec une bonne hydratation avant et pendant et de bons conseils, j’ai pu regarder la canicule droit dans les yeux. Elle a baissé les siens et m’a laissé passer.
Thomas L